Conjoncture économique, enjeux actuels et perspectives

Le 18 juin 2025, le CLUB B de la CSEEE, présidé par Pierre Roy (INEO TERTIAIRE EQUANS), tenait une réunion autour de l’intervention de l’économiste Florent Wabont (ECOFI). Durant plus d’une heure, Florent Wabont nous a présenté son analyse des flux mondiaux de l’économie et sa vision des perspectives générales de la zone euro et de la France. 

Voici un relevé des principales tendances et analyses évoquées au cours de cette rencontre avec les membres du Club B.

Perspectives pour la Zone Euro :

  • Inflexion du cycle économique et reprise de la croissance : L'économie européenne est dans une phase d'inflexion du cycle économique, indiquant que le pire est derrière elle. Une forme de stagnation de l'activité était observée jusqu'à présent, mais depuis quelques mois, on constate une inflexion en Allemagne, en Espagne et en Italie, et une petite inflexion en France, signalant un cycle plus porteur. Il y a des raisons d'être optimiste quant à une croissance plus forte dans la zone euro en 2025 et surtout en 2026 et au-delà.

  • Politiques budgétaires expansionnistes : Des politiques budgétaires beaucoup plus expansionnistes sont mises en place en Allemagne, concernant non seulement le réarmement mais aussi les dépenses d'infrastructures vertes et la rénovation de bâtiments. Ces dépenses devraient stimuler l'activité pour l'Europe dans son ensemble.

  • Réarmement et gains de productivité : Les investissements dans le réarmement et la défense, notamment en Allemagne, sont considérables et sont déployés sur 10 à 12 ans. Ces dépenses sont censées générer de l'activité économique et favoriser la recherche et le développement (R&D) dans des domaines comme la cyberguerre et de nouveaux procédés de fabrication. Ces avancées peuvent ensuite bénéficier au secteur civil, améliorer l'efficacité et la compétitivité à l'export, et engendrer des gains de productivité, qui manquent cruellement en Europe.

  • Volonté de réindustrialisation et de régionalisation : Suite à la pandémie et aux perturbations logistiques, il y a une volonté de mener des politiques industrielles pour favoriser la régionalisation des économies et diversifier les partenaires commerciaux. L'Europe cherche à être plus autonome stratégiquement et à faire travailler davantage d'entreprises européennes. Le rapport Draghi a notamment préconisé l'augmentation du budget de la défense, la sécurisation du continent, les dépenses d'infrastructure pour décarboner l'économie, et davantage d'innovation.
  • Confiance des entreprises en hausse (particulièrement en Allemagne) : Le baromètre de l'emploi en Allemagne, basé sur le sentiment des entreprises, est en augmentation, avec un regain de confiance et des intentions d'embauche accrues grâce à de meilleures perspectives d'activité.

  • Stabilité de l'inflation : Le plus gros de la désinflation est derrière la zone euro. L'inflation est rentrée dans les coûts et est même assez faible en France. Elle devrait désormais osciller autour de 2 %, la cible des banques centrales. La baisse des prix de l'énergie et l'atténuation de la progression salariale ont contribué à cette désinflation.

  • Flux de capitaux et euro en hausse : Une défiance à l'égard de la politique de Donald Trump aux États-Unis a entraîné un rapatriement des capitaux vers l'Europe, se traduisant par une augmentation de l'euro par rapport au dollar. Cela est perçu comme un avantage, offrant une stabilité politique et économique plus forte par rapport aux États-Unis.

  • Taux d'intérêt de la BCE : La Banque Centrale Européenne (BCE) a fait le plus gros du chemin en matière de baisse de taux et devrait maintenir son taux de facilité de dépôt à 2 % jusqu'à la fin de l'année. Les baisses de taux de la BCE prennent du temps à se répercuter dans l'économie, mais il y a une plus grande volonté de prêter de la part des banques commerciales.

Perspectives pour la France :

  • Stagnation de la croissance et retard par rapport à la Zone Euro : La croissance française stagne en termes d'activité ou croît à de faibles niveaux, et a même vu la croissance de la zone euro augmenter sans que la France ne suive cette tendance. La France est en retard par rapport aux autres pays de la zone euro.
     
  • Triple incertitude : L'économie française est affectée par une triple incertitude : les droits de douane, l'incertitude politique, et l'incertitude géopolitique.

  • Baisse de la confiance des consommateurs et des intentions d'investissement : La confiance des consommateurs diminue, et les perspectives en France sont à la traîne par rapport à l'ensemble de la zone euro. Les intentions d'investissement des entreprises, notamment dans le secteur de la construction, sont également déprimées, en partie à cause de taux d'intérêt élevés et de l'incertitude.
     
  • Problématiques budgétaires et défiance des marchés financiers : La trajectoire des finances publiques françaises est jugée problématique par les marchés. La France n'a pas réussi à générer les recettes nécessaires pour compenser les dépenses publiques post-pandémie. L'écart de taux entre la France et l'Allemagne, un indicateur de la confiance des marchés, a augmenté significativement, traduisant une défiance vis-à-vis de la politique française.

  • Situation R-G négative : La France est l'un des seuls pays de la zone euro où l'indicateur R-G (taux d'intérêt - croissance nominale) est en train de devenir négatif, signifiant que le coût de la dette est supérieur à la croissance et à l'inflation générées par l'économie. Cela rend la situation des finances publiques difficilement soutenable.

  • Impact du blocage politique : Le marasme politique en France, caractérisé par des difficultés à voter un budget et des changements ministériels, pénalise le pays en freinant la baisse des taux d'intérêt et en affectant la perception des investisseurs internationaux.

  • Bénéfice marginal du plan allemand : Le plan allemand pourrait ajouter 0,1 à 0,2 % de croissance au PIB français d'ici fin 2025-2026, mais cela reste modeste, et la France devrait rester à la traîne.

  • Atouts potentiels : Malgré les défis, la France conserve des atouts, notamment dans le secteur de la défense, et pourrait suivre la tendance positive de l'Europe si elle parvient à surmonter son blocage politique.

En résumé, l'Europe, stimulée par des politiques de réarmement et de réindustrialisation, et bénéficiant d'un certain regain de confiance par rapport aux États-Unis, semble se diriger vers une amélioration de la croissance et une stabilisation de l'inflation. La France, bien que potentiellement aidée par l'élan européen, est freinée par une incertitude politique et des difficultés structurelles qui pèsent sur la confiance des ménages, l'investissement et ses finances publiques.

La stratégie économique de Donald Trump en questions

La stratégie économique de Donald Trump, telle que décrite dans les sources, est présentée comme un projet délibéré et non une politique erratique, avec des "architectes" en coulisses. Un homme clé derrière cette stratégie est Stephen Moore, conseiller en chef des économistes de la Maison Blanche sous sa précédente administration, qui avait publié un essai détaillant les fondements de cette approche.

La stratégie repose sur plusieurs convictions et objectifs principaux :

  • Rééquilibrage commercial et réindustrialisation des États-Unis : Stephen Moore considérait que le dollar était surévalué, ce qui pénalisait les entreprises exportatrices américaines. Pour réindustrialiser le pays, l'idée était de forcer les autres partenaires commerciaux à négocier en imposant des droits de douane prohibitifs. L'objectif était d'aboutir à une baisse du dollar, d'encourager les entreprises américaines à réinvestir localement dans l'industrie et la production, et de permettre aux États-Unis de dominer le monde d'une nouvelle manière.

  • Baisse du dollar : C'est l'idée sous-jacente principale, visant à favoriser l'économie américaine en rendant ses exportations plus compétitives.

  • Baisse des taux d'intérêt : Donald Trump ambitionnait de réduire les taux d'intérêt pour que les entreprises américaines puissent emprunter à moindre coût.

  • Contrôle de l'inflation : Il souhaitait faire baisser l'inflation, notamment en réduisant les prix du pétrole, une promesse faite à son électorat.

  • Réduction de la fiscalité des entreprises : Pour stimuler la croissance économique, il visait une baisse de l'imposition des entreprises.

  • Réduction du déficit américain : Un autre objectif était de réduire le déficit, notamment par des coupes budgétaires et une réduction de la masse salariale de l'État fédéral, avec Elon Musk en charge du "département d'efficacité" (DOGE).

Évaluation des résultats de la stratégie par les sources :

Les sources dressent un bilan majoritairement négatif à ce stade :

  • Échec de la réduction du déficit : Les efforts d'Elon Musk pour réduire les dépenses publiques n'ont pas porté leurs fruits, les économies réalisées étant minimes par rapport à l'objectif.

  • Baisse du dollar pour de "mauvaises raisons" : Bien que le dollar ait effectivement perdu de sa valeur depuis le début de l'année, cette baisse n'est pas le fruit d'une stratégie réussie, mais plutôt le reflet d'une défiance des investisseurs internationaux à l'égard de la politique de Donald Trump. Les taux d'intérêt américains ont augmenté alors que la devise a diminué, une situation typique des crises dans les pays émergents et un signe de "crise de confiance".

  • Droits de douane et incertitude : L'augmentation des droits de douane aux États-Unis est considérée comme historique (passant de 2,4% fin 2024 à environ 15% en moyenne). Cela a conduit à une anticipation d'inflation et une augmentation des taux d'intérêt. L'imprévisibilité de sa politique crée des dommages importants dans l'économie américaine, affectant le ressenti des ménages et la capacité des entreprises à prendre des décisions d'investissement ou d'embauche.

  • Impact négatif sur la consommation et l'investissement : La confiance des consommateurs américains diminue, tous revenus confondus. Les ménages anticipent une hausse de l'inflation et craignent pour leur emploi. Les intentions d'investissement dans le secteur manufacturier américain se sont effondrées. Ces baisses de consommation et d'investissement se répercutent sur le marché de l'emploi.

  • Objectifs de croissance non atteints : L'ambition de 3% de croissance affichée par Donald Trump ne sera probablement pas atteinte, et un ralentissement de l'économie américaine est attendu pour 2025 et une partie de 2026.

  • Modération du discours : Face à ces constats négatifs, Donald Trump a dû modérer son discours sur les droits de douane, cherchant des accords rapides avec la zone euro et le Japon.

En somme, les sources suggèrent que la stratégie économique de Trump, bien que conceptuellement structurée, a jusqu'à présent abouti à un affaiblissement de "l'exceptionnalisme américain" et à une défiance des capitaux qui sont rapatriés vers d'autres régions, notamment l'Europe.

 

Diplômé de Paris-Dauphine en ingénierie économique et financière, Florent Wabont a intégré ECOFI en 2022 après un parcours qui l’a mené de la gestion des réserves de change la Banque de France à responsable de l’analyse macroéconomique et de la stratégie dans un cabinet de conseil dédié aux investisseurs institutionnels. Régulièrement consultant pour des médias économiques, Florent est également enseignant vacataire en économie et gestion d’actifs à l’Université Paris Nanterre.